Dernier discours de Robespierre
prononcé devant la Convention le 8 Thermidor an II
Citoyens,
Que
d'autres vous tracent des tableaux flatteurs : je viens vous dire des
vérités utiles. Je ne viens point réaliser des terreurs ridicules
répandues par la perfidie ; mais je veux étouffer, s'il est possible,
les flambeaux de la discorde par la seule force de la vérité. Je vais
défendre devant vous votre autorité outragée et la liberté violée.
Je
me défendrai aussi moi-même ; vous n'en serez point surpris ; vous ne
ressemblez point aux tyrans que vous combattez. Les cris de l'innocence
outragée n'importunent point votre oreille, et vous n'ignorez pas que
cette cause ne vous est point étrangère.
Les
révolutions qui, jusqu'à nous, ont changé la face des empires, n'ont eu
pour objet qu'un changement de dynastie, ou le passage du pouvoir d'un
seul à celui de plusieurs. La Révolution française est la première qui
ait été fondée sur la théorie des droits de l'humanité, et sur les
principes de la justice.
[...]
Précy à Lyon, et Brissot à Paris, criaient : Vive la République ! Tous les conjurés ont même adopté, avec plus d'empressement qu'aucun autre, toutes les formules, tous les mots de ralliement du patriotisme. L'Autrichien, dont le métier était de combattre la révolution ; l'Orléanais, dont le rôle était de jouer le patriotisme, se trouvèrent sur la même ligne ; et l'un et l'autre ne pouvaient plus être distingués du républicain.
Précy à Lyon, et Brissot à Paris, criaient : Vive la République ! Tous les conjurés ont même adopté, avec plus d'empressement qu'aucun autre, toutes les formules, tous les mots de ralliement du patriotisme. L'Autrichien, dont le métier était de combattre la révolution ; l'Orléanais, dont le rôle était de jouer le patriotisme, se trouvèrent sur la même ligne ; et l'un et l'autre ne pouvaient plus être distingués du républicain.
La République,
amenée insensiblement par la force des choses et par la lutte des amis
de la liberté contre les conspirations toujours renaissantes, s'est
glissée, pour ainsi dire, à travers toutes les factions : mais elle a
trouvé leur puissance organisée autour d'elle, et tous les moyens
d'influence dans leurs mains ; aussi n'a-t-elle cessé d'être persécutée
dès sa naissance, dans la personne de tous les hommes de bonne foi qui
combattaient pour elle ; c'est que. pour conserver
l'avantage de leur position, les chefs des factions et leurs agents ont
été forcés de se cacher sous la forme de la République.
Ils
ne combattirent pas nos principes, ils les corrompirent ; ils ne
blasphémèrent point contre la révolution, ils tâchèrent de la
déshonorer, sous le prétexte de la servir ; ils déclamèrent contre les
tyrans, et conspirèrent pour la tyrannie ; ils louèrent la République et
calomnièrent les républicains.
Les
amis de la liberté cherchent à renverser la puissance des tyrans par la
force de la vérité : les tyrans cherchent à détruire les défenseurs de
la liberté par la calomnie ; ils donnent le nom de tyrannie à
l'ascendant même des principes de la vérité.
Quand
ce système a pu prévaloir, la liberté est perdue ; il n'y a de légitime
que la perfidie, et de criminel que la vertu ; car il est dans la
nature même des choses qu'il existe une influence partout où il y a des
hommes rassemblés, celle de la tyrannie ou celle de la raison.
Lorsque
celle-ci est proscrite comme un crime, la tyrannie règne ; quand les
bons citoyens sont condamnés au silence, il faut bien que les scélérats
dominent.
(...)
Si
je vous dis aussi quelque chose des persécutions dont je suis l'objet,
vous ne m'en ferez point un crime ; vous n'avez rien de commun avec les
tyrans qui me poursuivent ; les cris de l'innocence opprimée ne sont
point étrangers à vos cœurs ; vous ne méprisez point la justice et
l'humanité, et vous n'ignorez pas que ces trames ne sont point
étrangères à votre cause et à celle de la patrie.
Eh
! quel est donc le fondement de cet odieux système de terreur et de
calomnies ? A qui devons-nous être redoutables, ou des ennemis ou des
amis de la République ? Est-ce aux tyrans et aux fripons qu'il
appartient de nous craindre, ou bien aux gens de bien et aux patriotes ?
(...)
Nous,
redoutables à la Convention nationale ! Et que sommes-nous sans elle ?
Et qui a défendu la Convention nationale au péril de sa vie
(...)
Que
les tyrans de l'Europe osent proscrire un représentant du peuple
français, c'est sans doute l'excès de l'insolence ; mais que des
Français qui se disent républicains travaillent à exécuter l'arrêt de
mort prononcé par les tyrans, c'est l'excès du scandale et de
l'opprobre.
(...)
Partout,
les actes d'oppression avaient été multipliés pour étendre le système
de terreur et de calomnie. Des agents impurs prodiguaient les
arrestations injustes : des projets de finances destructeurs menaçaient
toutes les fortunes modiques et portaient le désespoir dans une
multitude innombrable de familles attachées à la révolution ; on
épouvantait les nobles et les prêtres par des motions concertées ; les
paiements des créanciers de l’état et des fonctionnaires publics étaient
suspendus : on surprenait au Comité de salut public un arrêté qui
renouvelait les poursuites contre les membres de la commune du 10 août,
sous le prétexte d'une reddition des comptes.
Au
sein de la Convention, on prétendait que la Montagne était menacée,
parce que quelques membres siégeant en cette partie de la salle se
croyaient en danger ; et, pour intéresser à la même cause la Convention
nationale tout entière, on réveillait subitement l'affaire de cent
soixante-treize députés détenus, et on m'imputait tous ces événements
qui m'étaient absolument étrangers ; on disait que je voulais immoler la
Montagne ; on disait que je voulais perdre l'autre portion de la
Convention nationale.
On
me peignait ici comme le persécuteur des soixante-deux députés détenus ;
là, on m'accusait de les défendre ; on disait que je soutenais le Marais – c'était l'expression de mes calomniateurs.
(...)
Ah
! certes, lorsque, au risque de blesser l'opinion publique, ne
consultant que les intérêts sacrés de la patrie, j'arrachais seul à une
décision précipitée ceux dont les opinions m'auraient conduit à
l'échafaud, si elles avaient triomphé ; quand, dans d'autres occasions,
je m'exposais à toutes les fureurs d'une faction hypocrite, pour
réclamer les principes de la stricte équité envers ceux qui m'avaient
jugé avec plus de précipitation, j'étais loin, sans doute, de penser que
l'on dût me tenir compte d'une pareille conduite.
J'aurais
trop mal présumé d'un pays où elle aurait été remarquée, et où l'on
aurait donné des noms pompeux aux devoirs les plus indispensables de la
probité ; mais j'étais encore plus loin de penser qu'un jour on
m'accuserait d'être le bourreau de ceux envers qui je les ai remplis, et
l'ennemi de la représentation nationale que j'avais servie avec
dévouement ; je m'attendais bien moins encore qu'on m'accuserait à la
fois de vouloir la défendre et de vouloir l'égorger.
Quoi
qu'il en soit, rien ne pourra jamais changer ni mes sentiments ni mes
principes. A l'égard des députés détenus, je déclare que, loin d'avoir
eu aucune part au dernier décret qui les concerne, je l'ai trouvé au
moins très extraordinaire dans les circonstances ; que je ne me suis
occupé d'eux en aucune manière depuis le moment où j'ai fait envers eux
tout ce que ma conscience m'a dicté,
A
l'égard des autres, je me suis expliqué sur quelques-uns avec franchise
; j'ai cru remplir mon devoir. Le reste est un tissu d'impostures
atroces.
Quant
à la Convention nationale, mon premier devoir, comme mon premier
penchant, est un respect sans bornes pour elle. Sans vouloir absoudre le
crime, sans vouloir justifier en elles-mêmes les erreurs funestes de
plusieurs, sans vouloir ternir la gloire des défenseurs énergiques de la
liberté ni affaiblir l'illusion d'un nom sacré dans les annales de la
révolution, je dis que tous les représentants du peuple dont le cœur est
pur doivent reprendre la confiance et la dignité qui leur convient.
Je
ne connais que deux partis, celui des bons et des mauvais citoyens ;
que le patriotisme n'est point une affaire de parti, mais une affaire de
cœur ; qu'il ne consiste ni dans l'insolence, ni dans une fougue
passagère qui ne respecte ni les principes, ni le bon sens, ni la morale
; encore moins dans le dévouement aux intérêts d'une faction.
Le
cœur flétri par l'expérience de tant de trahisons, je crois à la
nécessité d'appeler surtout la probité de tous les sentiments généreux
au secours de la République.
Je
sens que partout où on rencontre un homme de bien, en quelque lieu
qu'il soit assis, il faut lui tendre la main, et le serrer contre son
cœur, je crois à des circonstances fatales dans la révolution, qui n'ont
rien de commun avec les desseins criminels, je crois à la détestable
influence de l'intrigue, et surtout à la puissance sinistre de la
calomnie.
Je
vois le monde peuplé de dupes et de fripons : mais le nombre des
fripons est le plus petit : ce sont eux qu'il faut punir des crimes et
des malheurs du monde.
(...)
N'ont-ils
pas appelé nos armées " les hordes conventionnelles " ; la révolution
française "le jacobinisme"? Et lorsqu'ils alertent de donner à un faible
individu, en butte aux outrages de toutes les factions, une importance
gigantesque et ridicule, quel peut être leur but, si ce n'est de vous
diviser, de vous avilir, en niant votre existence même, semblables à
l'impie qui nie l'existence de la divinité qu'il redoute ?
Cependant ce mot de dictature
a des effets magiques ; il pétrit la liberté ; il avilit le
gouvernement : il détruit la République ; il dégrade toutes les
institutions révolutionnaires, qu'on présente comme l'ouvrage d'un seul
homme ; il rend odieuse la justice nationale, qu'il présente comme
instituée pour l'ambition d'un seul homme ; il dirige sur un point
toutes les haines et tous les poignards du fanatisme et de
l'aristocratie.
Quel
terrible usage les ennemis de la République ont fait du seul nom d'une
magistrature romaine ! Et si leur érudition nous est si fatale, que
sera-ce de leurs trésors et de leurs intrigues ? Je ne parle point de
leurs armées : mais qu'il me soit permis de renvoyer au duc d'York et à
tous les écrivains royaux les patentes de cette dignité ridicule qu'ils
m'ont expédiées les premiers.
Il
y a trop d'insolence à des rois, qui ne sont pas sûrs de conserver leur
couronne, de s'arroger le droit d'en distribuer à d'autres. Je conçois
qu'un prince ridicule, que cette espèce d'animaux immondes et sacrés
qu'on appelle encore rois, puissent se complaire dans leur bassesse et
s'honorer de leur ignominie ; je conçois que le fils de Georges, par
exemple, puisse avoir regret de ce sceptre français qu'on le soupçonne
violemment d'avoir convoité, et je plains sincèrement ce moderne
Tantale.
J'avouerai
même, à la honte, non de ma patrie. mais des traîtres qu'elle a punis,
que j'ai vu d'indignes mandataires du peuple qui auraient échangé ce
titre glorieux pour celui de valet de chambre de Georges ou de
d'Orléans.
Mais
qu'un représentant du peuple qui sent la dignité de ce caractère sacré,
qu'un citoyen français digne de ce nom puisse abaisser ses vœux
jusqu'aux grandeurs coupables et ridicules qu'il a contribué à
foudroyer, qu'il se soumette à la dégradation civique pour descendre à
l'infamie du trône, c'est ce qui ne paraîtra vraisemblable qu'à ces
êtres pervers qui n'ont pas même le droit de croire à la vertu.
Que dis-je, vertu ?
c'est une passion naturelle, sans doute : mais comment la
connaîtraient-ils, ces âmes vénales, qui ne s'ouvrirent jamais qu'à des
passions lâches et féroces : ces misérables intrigants, qui ne lièrent
jamais le patriotisme à aucune idée morale, qui marchèrent dans la
révolution à la suite de quelque personnage important et ambitieux, de
je ne sais quel prince méprisé, comme jadis nos laquais sur les pas de
leurs maîtres ?
(...)
Ils
m'appellent tyran. Si je l'étais, ils ramperaient à mes pieds, je les
gorgerais d'or, je leur assurerais le droit de commettre tous les
crimes, et ils seraient reconnaissants. Si je l'étais, les rois que nous
avons vaincus, loin de me dénoncer (quel tendre intérêt ils prennent à
notre liberté ! ) me prêteraient leur coupable appui ; je transigerais
avec eux. Dans leur détresse, qu'attendent-ils, si ce n'est le secours
d'une faction protégée par eux, qui leur vende la gloire et la liberté
de notre pays ?
On arrive à la tyrannie par le secours des fripons ; où courent ceux qui les combattent ? Au tombeau et à l'immortalité.
Quel est le tyran qui me protège ? Quelle est la faction à qui j'appartiens ? C'est vous-mêmes.
Quelle
est cette faction qui, depuis le commencement de la révolution, a
terrassé les factions, a fait disparaître tant de traîtres accrédités ?
C'est vous, c'est le peuple, ce sont les principes. Voilà la faction à
laquelle je suis voué, et contre laquelle tous les crimes sont ligués.
C'est
vous qu'on persécute ; c'est la patrie, ce sont tous les amis de la
patrie. Je me défends encore. Combien d'autres ont été opprimés dans les
ténèbres' Qui osera jamais servir la patrie, quand je suis obligé
encore ici de répondre à de telles calomnies ?
Ils
citent comme la preuve d'un dessein ambitieux les effets les plus
naturels du civisme et de la liberté ; l'influence morale des anciens
athlètes de la révolution est aujourd'hui assimilée par eux à la
tyrannie.
Vous
êtes, vous-mêmes, les plus lâches de tous les tyrans, vous qui
calomniez la puissance de la vérité. Que prétendez-vous, vous qui voulez
que la vérité soit sans force dans la bouche des représentants du
peuple français ?
La
vérité, sans doute, a sa puissance ; elle a sa colère, son despotisme ;
elle a des accents touchants, terribles, qui retentissent avec force
dans les cœurs purs, comme dans les consciences coupables, et qu'il
n'est pas plus donné au mensonge d'imiter qu'à Salmonée d'imiter les
foudres du ciel : mais accusez-en la nature, accusez-en le peuple qui le
sent et qui l'aime.
Il
y a deux puissances sur la terre ; celle de la raison et celle de la
tyrannie ; partout où l'une domine, l'autre en est bannie. Ceux qui
dénoncent comme un crime la force morale de la raison cherchent donc à
rappeler la tyrannie.
Si
vous ne voulez pas que les défenseurs des principes obtiennent quelque
influence dans cette lutte difficile de la liberté contre l'intrigue,
vous voulez donc que la victoire demeure à l'intrigue ? Si les
représentants du peuple qui défendent sa cause ne peuvent pas obtenir
impunément son estime, quelle sera la conséquence de ce système, si ce
n'est qu'il n'est plus permis de servir le peuple, que la République est
proscrite et la tyrannie rétablie ?
Et
quelle tyrannie plus odieuse que celle qui punit le peuple dans la
personne de ses défenseurs ? Car la chose la plus libre qui soit dans le
monde, même sous le règne du despotisme, n'est-ce pas l'amitié ?
Source : http://voltaire.republique.over-blog.com/article-6991604.html
Il est possible de retrouver l'évolution de l'usage du terme "Terreur" pendant la décennie révolutionnaire dans cet article de Jacques Guilhaumou disponible sur le site http://revolution-francaise.net, « La terreur à l’ordre du jour » : un parcours en révolution (1793-1794)]
Il est possible de retrouver l'évolution de l'usage du terme "Terreur" pendant la décennie révolutionnaire dans cet article de Jacques Guilhaumou disponible sur le site http://revolution-francaise.net, « La terreur à l’ordre du jour » : un parcours en révolution (1793-1794)]